La guerre de 1870 avait été un désastre. Pour la première fois depuis Napoléon Ier, la France se retrouvait envahie par les troupes prussiennes, la frontière nord-est amputée de l'Alsace et de la Lorraine, Paris assiégé, le gouvernement en exil à Bordeaux. Seule la moitié sud avait échappé au pire. "Plus jamais cela", jurèrent les gouvernements de l'époque. Sitôt la paix revenue, l'on se préoccupa de renforcer les défenses du pays. A Lyon, les fortifications construites dans les années 1830, comme le fort Montluc et le fort Lamothe, n'étaient plus capables de faire face aux progrès de l'artillerie, et ne protégeaient pas les communes de la banlieue est. La défense de l'agglomération devait être revue de fond en comble. L'armée fit donc appel au général Séré de Rivières (1815-1895), en poste à Lyon pendant la guerre franco-prussienne, et directeur du service du Génie au ministère de la Guerre. Entre 1872 et 1875, Séré de Rivières et ses adjoints mettent au point une défense reposant sur 17 forts qui seront édifiés sur tous les sommets entourant la région lyonnaise, notamment à Feyzin, à Corbas, à Saint-Priest, à Caluire, au Mont-Verdun et bien entendu dans notre ville.
A Bron, la commission de défense choisit de fortifier le point culminant de la commune, une colline couverte de vignes d'où la vue s'étend jusqu'aux Alpes, et d'où les canons de l'artillerie pourront au besoin, tenir sous leur feu une armée ennemie qui arriverait par la route d'Italie.
Après cinq ans de travaux menés de 1875 à 1879, les vignes cèdent la place à l'un des plus grands forts de l'agglomération, puisque ses remparts courent sur 1,4 kilomètre de long. Ils suivent un plan en chevron, renforcé de bastions à chaque angle, à l'intérieur desquels des casemates et des plates-formes de tir accueillent 46 canons de différents calibres (40 à 138 mm). Deux casernes aménagées au centre du dispositif, logent les 840 soldats et officiers prévus pour servir les canons et défendre le fort. Cette troupe peut vivre en vase clos car les entrepôts à poudre, les dépôts de munitions, la boulangerie et ses fours à pain, deux cuisines, un puits profond de 37 mètres, et plusieurs entrepôts de marchandises et de nourriture, sont prévus pour lui permettre de soutenir un siège d'au moins trois mois. A eux seuls, les stocks de poudre atteignaient 140 tonnes, de quoi empêcher de dormir le maire de Bron, qui craint pour la sécurité de la ville ! L'ampleur de l'édifice se devine dès sa porte d'entrée, perchée au sommet d'un fossé large de 12 mètres et profond de 6 à 8 mètres. Mais l'essentiel des bâtiments reste caché sous terre, pour se protéger des tirs de l'artillerie ennemie. Ce fort n'aurait pu être pris qu'aux prix de lourdes pertes - d'autant plus que deux autres fortifications complétaient sa défense, la batterie de Lessivas au nord (près du quartier Raby), et la batterie de Parilly au sud.
Pourtant, les hasards de l'histoire voulurent que le fort de Bron ne tire jamais un seul coup de canon. Durant les 19e et 20e siècles, il ne servit que de logement aux troupes, notamment aux pilotes du 2e groupe d'aviation militaire, et aux soldats protégeant l'aéroport. Le canonnier Jean David, du 53e régiment d'artillerie, fut du nombre. En 1914, après le déclenchement de la Première guerre mondiale, il quitte Clermont-Ferrand avec un détachement, et prend ses quartiers dans notre ville. Puis il attend, encore et encore, que l'ennemi apparaisse. Il passe le temps en faisant des corvées, en jouant avec ses camarades et en envoyant des cartes-postales : "Nous sommes plusieurs à écrire, si tu voyais les tables, on se croirait à l'école !", raconte-il sur l'une d'elles. A ce moment précis, le fort croule sous le nombre de poilus caserné dans ses murs. Ils pullulent tellement que l'on doit même en loger dans des tentes dressées autour des batteries. Le fort joue le même rôle durant la Seconde Guerre mondiale, qui voit se succéder les pilotes et mécaniciens de l'armée de l'air polonaise, alors réfugiée en France, puis à partir de 1942 les soldats de l'armée allemande - d'ailleurs certains d'entre eux ont laissé des graffitis sur les murs. Le retour à la paix lui enlève toute utilité militaire. Il est déclassé en 1963 et, quinze ans plus tard, son point haut est mis à profit pour installer un grand château d'eau.
Bien que ses bâtiments soient fermés au public, les Brondillants, eux, n'oublient pas leur fort. Ils savent que son escalier monumental, ses casemates, ses galeries et ses immenses salles souterraines en belles pierres dorées, forment un ensemble magnifique. Les consciences s'éveillent et, en 1981, la municipalité obtient la cession du site, dont elle confie l'animation à une association fondée un an plus tard, en 1982. Aujourd'hui, ce joyaux du patrimoine brondillant sert de local à l'aéromusée aménagé par la SLHADA (Société Lyonnaise d'Histoire de l'Aviation), accueille des manifestations théâtrales, et s'ouvre au public lors des visites organisées par l'association du fort de Bron. Un voyage à travers le temps, à ne manquer à aucun prix.